Pour le président sortant, son adversaire socialiste était un "nul". Etonnant qu'il n'ait pas mieux cerné sa personnalité. Depuis le temps qu'ils se connaissent...
Ils ont six mois d'écart, 57 ans chacun. Dont près d'un quart de siècle à ferrailler. Même milieu bourgeois d'origine, ou presque, aisé de part et d'autre, même ascension, rapide mais accidentée, même ambition irrépressible, exhibée pour l'un, plus pudique pour l'autre. "Ni proches ni amis", selon l'expression de Nicolas Sarkozy, mais presque faux frères, et sans nul doute vrais adversaires.
Les finalistes de la présidentielle, que tout oppose sur le plan politique, comme sur le plan psychologique, se connaissent par coeur. Longtemps ils se sont affrontés à fleurets mouchetés, dans l'ombre, lorsqu'ils émargeaient dans les écuries de leurs aînés, aujourd'hui ils combattent en pleine lumière, sans pitié aucune pour conquérir, ou conserver, le fauteuil suprême.
Ce "nul" de Hollande
Au fil des semaines, le ton est monté, attisé par le tempérament querelleur de Nicolas Sarkozy. On l'a entendu vilipender sur tous les tons ce "nul" de Hollande, qui "ment matin, midi et soir" et qu'il se promet "[d']exploser". Il est allé jusqu'à s'en prendre à sa compagne, la journaliste Valérie Trierweiler. S'il n'a ciblé, lui, ni les qualités humaines de Nicolas Sarkozy ni les membres de sa famille, François Hollande n'a pas été tendre non plus avec le bilan et la pratique du pouvoir du chef de l'Etat...
Mais "il y a beaucoup plus de respect de François pour Nicolas que de Nicolas pour François", dit Jacques Attali, ami des deux et soutien politique de François Hollande, qui travaillait à ses côtés à l'Elysée à l'orée du premier mandat de François Mitterrand. La hargne de Nicolas Sarkozy fait aussi "partie de sa façon de se préparer au combat. Il a besoin d'être dans l'agressivité forcée pour se libérer", ajoute Attali, quand Hollande est "quelqu'un de gentil, toujours dans l'empathie". Mais qui sait se faire violence pour accéder au Graal élyséen. Car moquer, mépriser, voire haïr, telles sont les règles qu'impose le duel présidentiel. Le fait de bien connaître l'adversaire rend-il la tâche plus aisée ?
Les deux rivaux auraient en tout cas pu se croiser dès les années 1970, lorsque la famille Hollande quitte Rouen pour s'installer à Neuilly-sur-Seine. Mais le jeune François, 15 ans, est le seul des deux à être scolarisé au lycée public Pasteur, où il se lie avec Christian Clavier... qui deviendra plus tard l'ami de Nicolas Sarkozy. Ils ne font connaissance qu'en 1988, sur les bancs de l'Assemblée où ils viennent de faire leur entrée.
Etoiles montantes du PS et du RPR
Jeunes, ambitieux, ce sont des assidus de la salle des Quatre Colonnes du Palais-Bourbon, cet incontournable carrefour où se croisent plumes et élus. Tous les deux aiment les journalistes. Ils les choient, les nourrissent abondamment de off et d'analyses, souvent sans complaisance pour leur propre camp, bref, ils sont ce que la presse appelle de "bons clients". En retour, ils nouent quelques amitiés précieuses dans les rédactions.
Etoiles montantes du PS et du RPR dans les années 1990, ils croisent le fer régulièrement dans des colloques obscurs, des assemblées de notaires, des conclaves de petits patrons, des symposiums sur l'avenir de l'épargne, "toutes ces réunions où personne ne va et où les partis envoient des orateurs de deuxième ou de troisième division", s'amuse François Hollande. A force de ferrailler, leurs prestations virent presque au numéro de duettistes. Nicolas Sarkozy s'applique à user d'arguments se revendiquant du "bon sens" ; François Hollande, souvent soufflé par le culot de son adversaire, réplique en le piquant au vif à force d'humour et d'ironie grinçante.
Sarkozy écrasé par Hollande aux européennes de 1999
Leur premier grand duel public se déroule lors des élections européennes de 1999. Ils débattent sur le plateau de "7 sur 7", sur TF1. Six mois plus tôt, en octobre 1998, une première joute télévisée sur France 2 avait tourné à l'avantage de Sarkozy. Hollande, trop léger, avait eu le tort de blaguer pour fuir certaines questions. Il a retenu la leçon. Cette fois, il s'applique. Porté par les sondages, le premier secrétaire du PS détourne sans mal les flèches d'un adversaire dont le seul atout semble être l'énergie. Avec à peine 12% des voix, Sarkozy encaisse une déroute historique : écrasé par la liste PS conduite par Hollande, il est même devancé par le tandem Pasqua-Villiers.
Treize ans après, le candidat socialiste s'amuse encore de la méthode Coué qui régit les humeurs du maire de Neuilly : "Jusqu'au bout, il était vraiment persuadé qu'il allait gagner les élections européennes..."
Le culot et une insatiable foi en lui, tels sont bien les traits dominants de Sarkozy qui ont tout de suite sauté aux yeux de son ami de 30 ans, Jacques Attali. A l'automne 1982, le conseiller spécial de François Mitterrand rejoint son bureau de l'Elysée après un déjeuner lorsque sa secrétaire lui tend un message : "M. Nicolas Sarkozy, jeune avocat gaulliste, a beaucoup d'admiration pour vous. Souhaite devenir président de la République. Aimerait vous rencontrer."
Attali invite Sarkozy, tout juste 27 ans, pour lui faire visiter l'Elysée. L'année suivante, l'ambitieux conquiert la mairie de Neuilly. Le nouvel édile courtise les huiles de sa commune. Jacques Attali est l'une d'elles. Nicolas Sarkozy l'invite à déjeuner à la mairie, les deux hommes se lient, leurs familles se fréquentent. Résultat, les enfants Attali partent tour à tour en vacances avec ceux de Sarkozy... et avec ceux de Hollande.
Côte à côte en une de "Paris-Match"
Martin Hirsch est, lui aussi, allé de l'un à l'autre. Mais pas pour des vacances. Devenu haut-commissaire au sein du gouvernement Fillon, l'ancien président d'Emmaüs France n'avait pas coupé les ponts avec François Hollande. Il rêvait d'un vote unanime au Parlement pour faire adopter "son" RSA.
Le patron du PS y était prêt à condition que la taxe sur les revenus du capital finançant l'allocation soit extraite du bouclier fiscal. Pas question de profiter du RSA pour accorder une faveur supplémentaire aux plus privilégiés. Martin Hirsch est du même avis. Il demande audience à Sarkozy : "Il a dit oui... pendant 24 heures. Et puis il a refusé. Pour des raisons politiciennes, il ne voulait surtout pas d'un vote à l'unanimité."
Il n'y a guère qu'une fois où Hollande et Sarkozy ont affiché une vraie complicité. Pour le plus grand malheur du premier. Durant la campagne du référendum sur la Constitution européenne de 2005, le chef du PS laisse poindre pour la première fois nettement son ambition élyséenne. "Paris Match" lui propose de poser avec Sarkozy.
Le premier secrétaire du PS saute sur l'occasion de s'afficher avec le probable candidat de l'UMP en 2007. Le magazine veut les photographier dos à dos, Hollande, convaincu que le cliché ne fera pas la couverture, insiste pour qu'ils soient côte à côte. Patatras ! La faute de communication se double d'une faute politique. Hollande subit de plein fouet la victoire du non dont Sarkozy sort indemne, la faute en incombant à droite à Jacques Chirac.
"Nicolas est persuadé que tu seras le candidat PS l'année prochaine"
Déchiré, le PS plonge dans la crise et la candidature élyséenne de Hollande s'éloigne. Au début de l'année 2006, pourtant, Brice Hortefeux, fidèle lieutenant du ministre de l'Intérieur, entreprend le socialiste dans un couloir de l'Assemblée : "Nicolas est convaincu que tu seras le candidat PS l'année prochaine et il sait comment te battre !" Raté... C'est Ségolène Royal qui portera les couleurs de la gauche.
Cinq ans plus tard, rebelote. Sarkozy est d'abord convaincu que Dominique Strauss-Kahn sera le candidat du PS et ne se fait guère de souci, fort des informations dont il dispose sur la "légèreté" de DSK. Puis, il est persuadé que Martine Aubry remportera la primaire et affûte ses armes contre la "gauche archaïque", les "35 heures" qui ont "ruiné la France" et les "piscines lilloises réservées aux femmes voilées". Caramba, encore raté !
Le chef de l'Etat n'a pas vu revenir ce diable de François Hollande. En fait, il croyait l'avoir achevé au lendemain de la présidentielle de 2007 grâce au supplice chinois de "[l']ouverture", visant à séduire ses soutiens. Julien Dray, Malek Boutih, Manuel Valls et quelques autres résistent. Mais le tout nouveau chef de l'Etat parvient à ses fins avec Jean-Pierre Jouyet, proche d'entre les proches de Hollande, promu aux Affaires européennes. Sarkozy voulait "faire mal et déstructurer la gauche" selon Hollande, qui ne renouera avec Jouyet qu'une fois celui-ci sorti du gouvernement.
Depuis son trône élyséen, Sarkozy prend plaisir à humilier celui qui est encore premier secrétaire du PS. Il lui accorde trois tête-à-tête en deux ans sur des questions internationales, mais fait peu de cas de ses avis. Et pète carrément les plombs, un jour de juin 2008, alors qu'il ramène dans son avion les chefs de parti qui l'accompagnaient à Beyrouth pour assister à l'intronisation du nouveau pouvoir libanais.
Soudain, le président s'en prend à François Hollande : "Tu vas voir ! Je vais te faire chier avec Besancenot pendant 20 ans comme vous avez emmerdé la droite avec le FN !" François Bayrou, Marie- George Buffet et les autres sont pétrifiés par l'esclandre.
Un dédain constant
Au fond de lui, Nicolas Sarkozy est convaincu de ne pas boxer dans la même catégorie que le socialiste. Affaire de tempérament, là encore. "Une conversation avec Sarkozy commence par dix minutes de monologue, une discussion avec Hollande débute par des questions", résume Martin Hirsch.
Combien de fois a-t-il entendu le président brocarder le candidat du PS - "Enfin, Martin, comment peux-tu être ami avec un type comme lui" ? Un dédain constant. "Ça remet en cause le nucléaire et ça prétend gouverner la France...", soupire aujourd'hui, en meeting, le président-candidat à l'adresse de son adversaire.
En petit comité, il moque les intonations de "Ça". En particulier ses accents mitterrandiens. "Nicolas trouve que ce copier-coller est vraiment grotesque, presque une atteinte à la mémoire de Mitterrand !", confie le publicitaire Jacques Séguéla, grand ami de "Nicolas et Carla".
Hollande a une claire conscience des sentiments de son adversaire à son endroit. Il garde en mémoire leur dernier tête-à-tête, à l'été 2008, juste avant le vote de la révision constitutionnelle par le Parlement. Sarkozy lui demande à quelles conditions le PS approuverait une réforme menacée d'être repoussée. "La proportionnelle", répond Hollande. "Pas question !", réplique le chef de l'Etat. Il reprend son souffle, serre les poings, et finit par lâcher : "Bon, puisque c'est comme ça, je vais me charger de ton cas !" Coup de gong final le 6 mai.
Le Nouvel Observateur
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