LE PLUS. Après les lasagnes à la viande de cheval de Findus, Spanghero ou Panzani, c'est au tour de Flunch de tromper sa clientèle avec de la viande avariée. Peut-on encore faire confiance à ce qu'on a dans nos assiettes ? Cela a-t-il un impact philosophique ? Pour Francis Métivier, la meilleure solution reste encore de cuisiner soi-même.
VIANDE. En 1989, Michel Onfray, dans le livre qui l’a fait connaître, "Le ventre les philosophes, critique de la raison diététique", énonçait l’idée suivante : dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu penses. Mais les bons penseurs ne séparent pas leurs idées de leur manière d’être. Les bons penseurs font de la philosophie, non pas seulement une science abstraite, mais aussi et surtout un style de vie.
Dès lors, l’on peut préciser ainsi le principe d’Onfray : dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu penses et je te dirai qui tu es, comment tu vis, quelle est ta vie. Et l’état de ton estomac, qui constitue en retour l’un des grands déterminants de nos humeurs, de nos réactions, de nos décisions, de notre caractère.
Par exemple, si le Picrochole de Rabelais (littéralement "bile amère") était violent, criminel, antipathique, c’était à cause de son estomac, de ses aigreurs, et ces aigreurs étaient peut-être le fait de son alimentation. S’il avait mangé différemment, il n’aurait probablement pas déclaré la guerre à Grandgousier. La question est philosophique : est-on mauvais parce qu’on mange mal, ou mange-t-on mal parce que l’on est mauvais ?
C'est comme forcer un enfant à manger des épinards pas bons
La thèse première de Michel Onfray est la suivante : les conceptions de certains philosophes se comprennent à partir de leurs choix culinaires. Donc : si vous changez leur alimentation, vous changez leur philosophie.
Cette idée, eu égard à l’actualité viandesque des Findus, Spanghero et autres Panzani, révèle un véritable problème : si je suis ce que je mange, alors suis-je encore moi-même si, par tromperie ou mégarde, je mange autre chose que ce que je veux manger. Pire : est-ce que le sens de mes convictions et la logique de ma vie sont indemnes si je mange ce qu’habituellement je refuse de manger ? Ma pensée s’en trouve-t-elle dès lors perturbée ? La réponse est : oui. Et il faut la prendre très au sérieux.
Il y a l’argument religieux : on ne sert pas de porc à un musulman. Le musulman est prudent : il regarde de quoi ce qu’il achète est composé. Il y a l’argument culturel : l’Anglais ne mange pas de cheval car c’est un animal domestique. De la même manière, nous n’apprécierions pas d’apprendre, à la fin d’un repas dans un restaurant asiatique, avoir mangé du chien. Un jour, on m’a invité à prendre un certain mets et, une fois ingéré, l’on m’a dit qu’il s’agissait de testicules de veaux. J’ai l’esprit ouvert, et l’estomac, aussi. Mais, à cette annonce, ma voisine à côté de moi a tout vomi.
Le "mange ta soupe !" a été remplacé par le "Mange, c’est du cochon…". Donner au public du cheval à la place du porc, à son insu, est un peu l’équivalent de l’adulte qui force l’enfant à manger des épinards pas bons. Avec des moyens différents, le mensonge ayant remplacé la force.
Penser à ses intestins
Mais au fond, l’on est leurré aussi parce qu’on n’y connaît rien. Reprenons les exemples d'Onfray. Jamais Diogène ne se serait fait servir des lasagnes décongelées, jamais on aurait trompé le cynique sur la fraîcheur des poulpes. Jamais on n'aurait eu Hegel sur la qualité du Bordeaux. Rousseau ne se serait jamais fait avoir sur la traçabilité du lait. On n’aurait jamais fait boire à Kant de la bière à la place du vin blanc, même complètement saoul. Et sur la tentation du porc dans les saucisses, à Nietzsche, on ne la lui faisait pas… Si notre pensée dépend de notre alimentation, alors il ne faut pas acheter n’importe quoi à n’importe qui.
Le consommateur est bien également fautif. S’il est trompé, c’est qu’il accepte la manipulation alimentaire. Beaucoup de plats préparés, surgelés et autres correspondent initialement à des recettes permettant d’accommoder des restes, comme le hachis parmentier.
Lorsque les restes viennent de notre cuisine et sont ceux du repas du dimanche midi, nous en conservons la maîtrise. Mais lorsque les mélanges se font dans une usine, à partir d’autres restes, pas ceux de la maison, mais de l’industrie alimentaire, peaux, cartilages, os, il faut imaginer le désastre. Quand on mange, il faut penser à ses intestins…
Cuisiner soi-même, c'est simple et bon
Pour savoir ce que nous mangeons vraiment, le mieux est de cuisiner soi-même. Pas le temps ? Pas l’argent ? Ce sont des excuses. Une recette de cuisine est toujours une recette d’amour.
Exemple… Vous allez au marché avec vos enfants, acheter bœuf, légumes et herbes. À la maison, épluchage en famille. Puis le pot-au-feu se mijote tout seul. Il faut juste avoir la présence d’esprit de le préparer la veille, car réchauffé, c’est bien meilleur. Ça sent bon dans la maison. Vous pouvez en faire pour plusieurs jours. Vous récupérez le jus, le dégraissez, en faites pour le soir un bouillon avec des vermicelles. C’est simple. C’est bon. C’est sympa. Vous savez ce que vous mangez et, regardez, au kilo, c’est beaucoup moins cher que les plats tous faits. Voilà, une vraie philosophie de vie…
La solution aux problèmes alimentaires serait de trancher entre être zoophage ou être végétarien. Mais pas sarcophage. Zoophage, c’est-à-dire manger ou du moins acheter la viande telle qu’elle est, sous une forme reconnaissable. Pour le zoophage, son met a une transparence. Un amateur de viande sait, à l’œil, distinguer le bœuf du cheval. Il sait aussi, en la sentant, si elle est périmée ou non. Ou alors soyons végétariens. Dans le doute, abstiens-toi de manger de la viande.
Le pire est probablement la manie sarcophage, c’est-à-dire manger sans cesse une viande qui n’est plus de la viande, comme ce bœuf rabougri que Claude Bernard donnait à ses lapins expérimentaux, transformant des herbivores en carnivores pour les besoins de ses essais sur la digestion. Par définition, le sarcophage préfère la viande dissimulée qui fait oublier, derrière son hachis, la bête. C’est là que la duperie devient possible. Mais, mangeant notre poulet, il vaut mieux penser à une volaille en plein air qu’à un truc dans une industrie poulaillère.
Le mot sarcophage est intéressant, en apparence contradictoire. "Sarko-" (grec) renvoie à la viande et "-phage" à manger. Le terme ne désigne pas le consommateur de viande, mais un processus qui brûle et tue les chairs. En fait, le sarcophage est la pierre caustique qui consume la viande, transforme le cadavre, le conserve tout en le rendant méconnaissable. Le sarcophage alimentaire est celui qui consomme la viande elle aussi rendue méconnaissable, déformée, dans les grandes industries de la transmutation des matériaux biologiques et du recyclage mystérieux. Dommage… C’était pourtant crue, que nous aimions la viande.
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