Je suis inscrit à l'école, à l' Institut Français d'Athènes - comme presque tous - plus pour faire la bringue que pour étudier...Pas mal de mes camarades de classe d'alors sont ici sur FB et peuvent en témoigner...:)) Les discussions, les forums, les manifs, les concerts étaient légion....Chaque soir une découverte; chaque week end une autre île... La Vie m'avait offert un accelérateur d'apprentissage merveilleux et constamment renouvellé.
Puis un soir, je me souviens c'était un mardi, je me rends tout seul - comme si je savais à l'avance que je le devais - au stade de Panionios dans la banlieue cossue de Nea Smyrni où l'immense (dans tous les sens du terme) Mikis Théodorakis donnait un concert durant lequel il y aurait un hommage rendu à Dimitris Goggos dit Bayanderas une légende du bouzouki et du Rébétiko, chantre de la prohibition et des plaisirs interdits...Je le savais souffrant et je voulais le voir, l'aplaudir, le "sentir"...
Arrivé assez tôt au stade je trouve une place à côté de l'estrade des artistes et buvais goulûment chaque instant du va et vient de personnes que je côtoyais que sur le vinyle...
Et soudain...j'entends quelqu'un hurlant: gaffe toi ! On monte le grand père.....Et je vois une chaise roulante sur laquelle était assise, l'oeil hagard, les doigts figés, le teint de cire, une vraie momie, celui que je connaissais comme virtuose de la jouerie du bouzouki, maître de la repartie, bout en train inoxydable, musicien autodidacte hors pair...
En un instant passent en moi plusieurs sensations: la peine de voir un homme que j'admirais être moins qu'une ombre, le plaisir quand même de l'avoir vu, l'interrogation sur le bien fondé de cette distinction dont - je pensais - il ne comprendrait pas grand chose et enfin... la vanité humaine...
Pendant plus d'une heure il est délaissé dans un coin, mort vivant, éctoplasme gris.... Puis... le monde affluait, des groupes de jeunes entonnaient des chants faisant écho à d'autres voix venues d'en face; atmosphère bon enfant avec une force inouïe sous-jacente...
Maria, Petros et Andonis, les interprètes des mélodies de Mikis Theodorakis faisaient des vocalises et... toujours personne autour de Bayanderas abandonné comme Prométhée sur son rocher....
Puis... Mikis monta sur scène... Délire dans le stade et toujours à l'autre bout de la scène, à côté d'où je me trouvais, le visage impassible et immobile sur la chaise roulante.
Mikis parle, trouvant les mots que seul un musicien de son talent peut offrir à son alter ego, se retourne vers le public en disant : Avant de dire deux mots sur Bayandéras je vais le laisser parler comme il sait.... Au même moment où tous ceux qui étions près de la scène se regardions, stupéfaits, persuadés qu'il ne pourrait bégayer un traître mot, Mikis d'un trait de génie lui pose un bouzouki entre ses bras ballants aux doigts immobiles depuis plus d'une heure....
Chacun d'entre nous a ses croyances et son opinion sur la nature humaine ses forces et ses faiblesses... Néanmoins en quelques secondes je fus propulsé à l'Eden des sensations en voyant comme par enchantement - dès qu'il sentit le bouzouki entre ses bras - son allure grisâtre disparaître au profit de l'explosion simultanée de deux arc en ciel, le teint de cire devint bronzage et sourire de jeune premier et ses doigts figés envoyer des rossignols dans tous les coeurs...
La pierre philosophale dont parlait Paracelse est une bien moindre transformation !!!
Des larmes heureuses giclaient de partout.. Les vers de Mallarmé, ô temps suspend ton vol se matérialisaient... une lueur indéfinissable d'un espoir magique inexpliqué nous habitait tous.... J'ai reçu à cet instant le plus beau cours du Monde pour m'expliquer ce qu'est une Passion...
Je n'ai plus osé le regarder... Les visages de 20.000 personnes voyageant là où il nous emmenait me suffisaient... Je crois bien que les trois kilomètres que j'ai parcourus pour rentrer chez moi mes pieds ne touchaient pas le sol....
Et chaque fois que je me remémore cette nuit... la lévitation reprend...
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